Pour se déplacer à bicyclette, il faut appliquer avec ses jambes une force de rotation (couple) sur les manivelles (les tiges au bout desquelles se trouvent les pédales) de manière répétée (cadence).
En multipliant le couple par la cadence, on obtient la puissance développée par les jambes du cycliste ; exprimée en watts (W).
Le couple en N m et la vitesse angulaire en radians par seconde sachant qu’un tour de manivelles, ça fait 2π rad.
Ainsi, si on appuie fort sur les pédales avec une faible cadence, on peut développer la même puissance qu’en appuyant moins fort, mais à cadence plus élevée.
L’important, c’est que plus la puissance développée est élevée, plus on peut aller vite, puisque c’est ce qui va permettre de lutter contre la résistance au roulement, la résistance de l’air et la gravité.
Ces trois ennemis du cycliste font que la puissance ne dit pas tout : les pneumatiques et la qualité des roulements des roues vont jouer ; la vitesse du vent et la densité de l’air vont jouer ; et enfin, évidemment, la masse du cycliste et de sa machine vont jouer.
Et comme la puissance représente une quantité d’énergie fournie par unité de temps, et que le rendement énergétique du corps humain peut être estimé ; à partir de la puissance développée, on peut estimer la quantité d’énergie totale utilisée par un cycliste pour se mouvoir.
Dans le milieu de la cyclopédie, il existe ainsi une mesure qui permet à tout à chacun de comparer la taille de sa bite avec celle du voisin, mais au lieu d’être exprimée en centimètres et d’être mesurée au repos ou en érection, elle est exprimée en watts par kilogramme (W/kg) et se mesure de différentes manières, via un protocole de test ou non, mais toujours à l’aide d’un capteur de puissance et d’une balance.
Cette mesure, c’est la Functional Threshold Power (FTP), qui représente la puissance maximale qu’un cycliste pourrait maintenir pendant une heure.
Je dis pourrait, car bien souvent, elle est obtenue en appliquant un coefficient à une mesure réalisée sur moins d’une heure. C’est donc théorique.
Elle s’exprime en W/kg, puisque comme indiqué précédemment, la masse du cycliste est importante pour déterminer la vitesse à laquelle il se déplace pour une puissance donnée.
Résultat, un cycliste de 100kg qui développe 300W sur une heure (soit 3W/kg) est théoriquement moins bon qu’un cycliste de 75kg qui développe 240W (soit 3.2W/kg).
Tout ça pour dire que, sur Zwift, c’est un peu pareil et un peu différent.
Pour participer, il faut a minima être équipé d’un capteur de puissance qui mesurera cette donnée et la transmettra au logiciel.
Celui-ci, en plus de la puissance du cycliste, va prendre en compte la masse et la taille renseignées, le matériel virtuel sur lequel se trouve l’avatar, la surface sur laquelle il se déplace, l’inclinaison de la route et la présence d’autres avatars autour (aspiration) pour déterminer, via un algorithme secret mais constant, la vitesse de déplacement de ce dernier.
IRL, c’est beaucoup plus complexe, car il y a des dizaines d’autres facteurs qui entrent en jeu, en particulier la résistance à l’air, très changeante.
C’est pourquoi, souvent, on peut entendre des gens expliquer sur les courses sur Zwift c’est un concours de FTP : celui qui a la plus grosse (en W/kg hein) est celui qui va forcément gagner.
D’autant plus que les courses ont tendance à être courtes (moins d’une heure) et que la physique de l’univers virtuel laisse peu de place aux stratégies qui peuvent être exploitées IRL.
Pourtant, il suffit de regarder les résultats de n’importe quelle course pour s’apercevoir que ce n’est pas le cas :
Cependant, il y a un autre reproche, bien plus légitime, qui est fait à Zwift et ses courses, et j’arrive enfin au sujet de l’article : c’est son système de catégories.
Avant de déveloper, je dois revenir sur un élément.
La FTP, elle fournit une information sur les capacités d’un cycliste sur une heure, soit soixante minutes. Mais les courses de vélo, ce n’est pas un effort constant d’une heure.
Ça peut durer plus longtemps, et sur Zwift ça dure souvent moins.
Et surtout ça démarre souvent très fort pendant 30 secondes, ça se calme, ça s’excite pendant quelques dizaines de secondes à quelques minutes sur les bosses placées sur le parcours ou lors d’attaques pour essayer de s’échapper du peloton, et ça finit très fort.
Raison pour laquelle un cycliste avec une FTP de 5W/kg sera peut-être incapable de suivre la tête d’une course de 40 minutes où personne dans le TOP 10 n’aura développé plus de 4.5W/kg sur l’entièreté de la course.
Car si cette personne est capable de maintenir une puissance donnée de manière constante sur 60 minutes, elle peut être incapable de maintenir un certain pourcentage de cette puissance si, au cours de l’effort, elle doit développer beaucoup plus de watts pendant un temps relativement cours.
Raison pour laquelle il existe différents profils de coureurs comme les puncheurs, les grimpeurs ou les sprinteurs.
Des tentatives de créer une nouvelle mesure ont ainsi été réalisées, que ce soit via la puissance normalisée ou la Puissance Maximale Aérobie (Maximal Aerobic Power / MAP en anglais) basée sur un effort plus court ou même établir un profil complet via différents efforts comme le Four-Dimensional Power® (4DP®) de Wahoo (feu The Sufferfest).
Une chose est certaine cependant : comparer deux cyclistes uniquement sur leur FTP respective, sans se préoccuper de leur physique ou du type de parcours sur lequel ils roulent, n’a pas de sens.
Fin de la parenthèse.
Sur Zwift, pour tenter de partager les coureurs (cyclistes participants à des courses…) de manière équitable, il existe quatre catégories, nommées selon des lettres de l’alphabet, A étant la plus haute et D la plus basse.
Initialement, elles étaient basées sur un mélange entre la valeur effective de la FTP (en W/kg) et sa valeur brute (en W) ; la seconde partie pour ne pas trop impacter les coureurs très légers.
Face aux critiques sur le fait qu’une mesure sur une heure n’a pas de sens pour départager des individus participants à des efforts d’une durée inférieure, Zwift a rajouté un critère basé sur la PMA à leur sauce.
Aujourd’hui les catégories ressemblent à ceci :
Le principe étant qu’en fonction de ses capacités, on se retrouve empêché de participer à des courses dans une catégorie étant jugée comme inférieure à celles-ci.
Par contre, il n’est pas interdit de courir dans les catégories supérieures. Mais il faut être prêt à souffrir.
Là où avant un cycliste avec une FTP de 3W/kg et une PMA de 4.3W/kg pouvait courir en C car seule la FTP comptait, aujourd’hui, il est obligé de courir au moins en B car sa PMA est trop élevée pour la catégorie C, bien que sa FTP soit dans l’intervalle.
C’est un peu plus juste, car sur des courses de 40mn avec une petite difficulté, il écrasait probablement la concurrence en C. Alors qu’en B il va devoir batailler un peu plus fort s’il veut voir le TOP 10.
Cependant, là où ce système n’est pas du tout équilibré, c’est avec les catégories extrêmes.
En D, c’est de moins l’infini à 2.624W/kg de FTP et surtout, en A, c’est de 4.2W/kg à plus l’infini.
Et quand je dis plus l’infini, ce n’est pas qu’une figure de style, car il existe des individus avec une FTP qui dépasse les 6W/kg.
C’est-à-dire que quelqu’un à 4.2W/kg se retrouve à courir et être classé contre quelqu’un à 6W/kg.
Soit un écart de plus de 40% entre les deux !
À côté, dans la catégorie C, l’écart entre la borne inférieure et la borne supérieure n’est que de 28% ; et 25% en B.
En se basant sur la PMA, on a 27% d’écart en C, 28% en B tandis qu’en A on peut atteindre des écarts supérieurs à 40% encore une fois.
Tout en sachant que plus les FTP sont élevées, plus elles sont difficiles à atteindre et surtout plus l’écart en valeur absolue est important.
Ce qui ne fait qu’augmenter la différence qui peut exister entre deux coureurs en A.
En C, l’intervalle est de 0.735W/kg tandis qu’en A il peut dépasser les 1.8W/kg.
Si on ramène cela à un coureur de 70kg, c’est un écart de 50W en C contre 126W en A !
Pour tenter d’améliorer les choses, d’autres systèmes ont été proposés ; mais ils ne résolvent pas vraiment le problème et, surtout, sur Zwift, il n’y a que cinq catégories maximum ; la E n’est pas reconnue par Zwift mais peut être activée par les organisateurs des courses pour étendre les possibles. Même s’ils cherchaient à créer des catégories plus restreintes pour être plus justes, ce ne serait pas possible de manière simple.
Certes, ils pourraient faire des horaires distincts, pour avoir cinq catégories qui partiraient à deux minutes d’intervalle, soit vingt-cinq catégories en dix minutes ; mais le fonctionnement actuel de Zwift fait que ce serait un enfer à organiser et pour les coureurs ça serait aussi très complexe.
Par exemple sur la Coupe de France e-cycling, les divisions étaient les suivantes :
Pour les hommes, il n’y avait que trois catégories, la catégorie F étant réservée aux femmes.
L’intervalle de la Catégorie 2, 600 points, soit 50%.
Tandis que dans la Catégorie 1, c’est de 1800 à plus l’infini.
Et certains dépassaient les 2500 points. Soit 40% d’écart minimum.
Pour Chasing Tour, ils ont décidé de se baser sur le classement vELO proposé par Zwiftracing, inspiré par le Elo des échecs et qui permettrait plus facilement de faire du matchmaking comme pratiqué dans de nombreux jeux vidéo.
Mais on en revient aux limitations de Zwift.
En B, on se retrouve avec 30% d’écart.
En A, avec des coureurs qui dépassent les 3200 points, c’est un nouveau record avec quasiment 70% d’écart !
Pourtant, ce système, c’est clairement le plus prometteur ; simplement dans la façon dont il peut être exploité aujourd’hui, c’est probablement le plus injuste pour la catégorie A.
Là où c’est un problème difficile à résoudre, c’est que c’est comme l’oxygène : plus on monte, moins il y en a.
Des normies à 3W/kg, on en trouve sous chaque grain de sable de Tempus Fugit.
Des extraterrestres à plus de 5.5W/kg, il n’y en a quelques dizaines.
Et c’est rapidement visible : sur la plupart des courses en semaine, il y a généralement trois fois plus de participants en B et C qu’en A.
Si l’on devait découper la catégorie A en sous-catégories pour tenter de la rendre plus juste, il n’y aurait qu’un ou deux participants par catégorie. Retirant tout l’intérêt de la course.
De mon point de vue de zwiftos qui se retrouve catégorisé en A pour pas grand-chose, ça a plusieurs conséquences très concrètes :
- Je n’ai absolument aucune chance de voir un podium
- Même un TOP 10 est très peu réaliste
- En prenant le départ d’une course, le premier objectif, c’est de tenir le plus longtemps avec le groupe de tête avant de finir par être lâché
- Même pour simplement rester dans les roues, je dois faire un effort très proche de mon maximum
- Absolument aucune chance de peser sur la course d’une quelconque manière
- Si jamais je fais un résultat, c’est que mes adversaires avaient un niveau aussi faible que le mien et donc je n’ai aucun mérite
Alors pourquoi s’infliger ça ? Pourquoi volontairement souffrir jusqu’à l’échec en sachant qu’on n’a aucune chance de gagner ?
Vous commencez à comprendre le titre ?
C’est simple : se butter pour suivre la tête de course, ça me force à faire des efforts d’une intensité que je ne pourrai pas atteindre à l’entraînement seul car, psychologiquement, avoir des opposants à suivre ça débloque des watts qui restent cachés le reste du temps.
En multipliant ces occasions et ces efforts, je peux continuer à progresser.
Et fort heureusement, une fois que je suis lâché par la tête de course, je ne me retrouve pas seul ; d’autres victimes du peloton ont été lâchées avant ou le seront après ; ce qui me donne l’opportunité de faire une course dans la course et de trouver une seconde source de satisfaction en battant certains de mes compagnons d’infortune.
À première vue, j’ai bien conscience que cet énorme pavé peut sembler être le rant de quelqu’un qui ferait mieux de s’entraîner plus sérieusement plutôt que de rager sur son clavier du fait qu’il n’a aucune chance de viser un podium dans sa catégorie ; mais ce n’est pas totalement le cas ; juré !
L’objectif, c’est d’expliquer en détails et calmement la raison pour laquelle je réponds “absolument pas !” quand on me demande si je vise la gagne sur les courses auxquelles je peux participer, et que j’y trouve un intérêt ailleurs.
Mais c’est aussi pour remettre l’église au centre du village vis à vis des coureurs des catégories inférieures qui se plaignent des systèmes actuels qui seraient injustes pour eux plus que pour les autres.