Depuis juillet, et un premier lot d’accusations envers l’Abbé Pierre, de nombreuses choses ont été dites à ce propos.
Les 17 nouveaux témoignages rendus publics cette semaine viennent enfoncer le clou.

Comme souvent dans ce genre d’affaire, on peut observer toutes sortes de réactions, dont certaines particulièrement abjectes.
Ce n’est pas l’objet de cet article.

Je suis évidemment pour que l’on laisse la justice faire son travail ; et ce n’est pas le mien de juger de la validité de quoi que ce soit vis à vis des personnes impliquées.

Ce qui me dérange ici, et c’est le cas ailleurs, comme avec le déboulonnage de statues liées à l’esclavage, c’est la vivacité avec laquelle certains cherchent à se détacher d’une personne qu’elles voyaient jusqu’à présent comme un Saint et plus globalement, de l’Histoire.

Son nom était souvent emprunté comme une expression, pour signifier la bonté/le désintéressement de quelqu’un.
À travers le pays, il existe des rues, des squares, des bâtiments… à son nom et des statues à son effigie.
Et bien évidemment, il-y-a la fondation qui porte son nom.

Les membres actuels de celle-ci sont d’ailleurs ceux qui sont le plus à la pointe des actions de revirement :

[…] le Mouvement a pris plusieurs décisions qui seront mises en œuvre dans les plus brefs délais. Elles concernent l’héritage de l’abbé Pierre, sa place au sein des organisations et la pérennité des missions du Mouvement :

Le premier problème, c’est qu’en cherchant à faire disparaître toute trace d’un individu, une fois qu’on a décidé qu’il n’était pas à la hauteur de nos attentes, on perd une occasion de retenir la leçon qu’on aurait pu tirer de cette situation.
À un moment, il a été jugé que l’Abbé Pierre méritait une certaine reconnaissance, sous différentes formes.
Maintenant, on considère que l’on s’est trompés, alors on veut supprimer tout cela au plus vite pour cacher, non pas les torts de l’individu, mais nos propres erreurs de jugement.
Nous permettant ainsi de nous laver les mains et de nous focaliser sur le prochain Saint, jusqu’à son propre déboulonnement.
Ne serait-il pas plus pertinent de garder ces traces, mais de les enrichir ?
Par exemple, sur la plaque d’une rue portant son nom, rajouter la mention “Reconnu coupable d’agressions sexuelles”.

Plaque Rue Abbe Pierre
Totalement dingue ce qu’arrive à générer Ideogram.ai !

Sans aller nécessairement jusque-là, en garder une trace permet aux gens de se renseigner sur la personne et de voir pourquoi on avait décidé de lui porter cette reconnaissance, puis ce que l’on a découvert ensuite.
N’est-ce pas pour que les citoyens s’informent sur l’Histoire que l’on utilise des éléments historiques pour nommer nos rues, nos bâtiments… ?

Se priver de leçons historiques est le meilleur moyen de répéter les erreurs du passé.
Une cicatrice bien visible à un endroit où l’on s’est blessé, c’est un rappel permanent de l’erreur qui est à l’origine de cette blessure ; et une incitation à ne pas la commettre de nouveau.

C’est la même question qui se pose concernant les adaptations apportées à certaines œuvres d’art pour correspondre aux principes moraux de certaines personnes.
En procédant ainsi, on détruit l’œuvre originale, on masque une partie de la réalité historique et, surtout, on retire aux futures générations la possibilité de se renseigner sur cette réalité historique.
Rien n’empêche de créer de nouvelles œuvres basées sur des principes moraux actuels ; œuvres qui, nécessairement, seront vues comme inadaptées dans un futur plus ou moins proche.
En réalité, c’est plutôt la volonté de certains de se placer en maîtres moralisateurs, plutôt que de chercher ce qui est bon pour la société présente et future.
Personne n’est obligé de lire un livre qui n’adhère pas à ses propres valeurs morales ; mais vouloir conserver des œuvres tout en les travestissant aux idées à la mode, c’est absurde.
J’ai lu du Ian Fleming, j’ai trouvé ça très dérangeant, j’ai donc décidé de ne pas lire ses autres livres, voilà. C’est tout.
Je ne demande pas à ce qu’on brûle ses ouvrages ou qu’on les réécrive pour qu’ils m’apparaissent plus plaisants.
Ils ont été écrits par une certaine personne dans un certain contexte ; c’est tout ; c’est à prendre ou à laisser.

James Bond Homeless
Cette fois, c’est Dall-E de OpenAI qui a interprété “priest” et “London” à sa sauce !

Le deuxième problème, lié au premier, c’est que, peut-être, glorifier des individus, quels qu’ils soient, n’est peut-être pas une bonne idée ?
Avant même cette affaire, il fallait être totalement naïf pour s’imaginer que toutes les personnes auxquelles une forme d’hommage a été rendu s’avèrent irréprochables.

Presque chaque commune de France possède un monument aux morts pour la France ; quelle proportion des noms qui s’y trouvent correspond à des individus qui n’ont commis aucun acte qui, en 2024, pousserait des gens à demander leur condamnation ?
Avis personnel ? Une infime minorité.

Selon quels critères certains méritent d’être effacés et d’autres non ?
La gravité des actes ? Le nombre de victimes ? Le temps écoulé depuis leurs actions ? Leur mort ?
Ou simplement le fait d’être dans l’actualité et donc de pouvoir permettre à certains de se donner le beau rôle en demandant leur effacement ?

L’an dernier, après avoir visionné un épisode de Karambolage dédié à Coluche, j’avais commencé à rédiger un article où je me questionnais sur l’héritage d’une personnalité décédée alors que les gens en avaient majoritairement une bonne image.
Je comparais Coluche et Renaud, en faisant le parallèle avec la fameuse réplique issue de The Dark Knight : “You either die a Hero, or you live long enough to see yourself become The Villain” ; le comique a encore la cote depuis sa tombe, tandis que le chanteur, toujours vivant, est devenu une parodie de lui-même.

Aujourd’hui cette réflexion est totalement remise en cause car, l’Abbé Pierre, qui est mort a Hero, est maintenant accusé d’être The Villain.

Puisque même quelqu’un qui est vu pendant des décennies comme un Saint, si ce n’est Le Saint d’une Nation, peut du jour au lendemain devenir une ordure, est-ce qu’il ne faudrait pas arrêter cette glorification permanente ?
Qu’est-ce que ça apporte à la société ?
Pourquoi Fondation Abbé Pierre ? Pourquoi pas Les Maçons du cœur ?
D’autant plus que maintenant, on accorde de plus en plus de crédit légitime aux questions d’inclusivité.
Quiconque n’étant pas affilié à l’Église Catholique devrait avoir du mal à rejoindre une fondation dont le nom fait référence au titre d’un de ses membres.
Sea Shepherd ça a quand même plus de gueule que Fondation Paul Watson ou Association Lamya Essemlali ; peu importe l’impact de ces deux personnes dans l’organisation.

Dans le cas présent, le fait que ce soit le créateur de la fondation qui a décidé de lui donner son propre nom est d’autant plus le signe que celle-ci n’aurait jamais dû exister ou s’appeler ainsi en premier lieu.
Il faut avoir une sacrée dose d’égocentrisme pour appeler une fondation à son nom.
Ce n’est pas surprenant qu’un tel individu s’avère, par la suite, quelqu’un de socialement peu recommandable.

Surtout que nommer des choses à partir de personnes bien réelles, ça ne concerne pas que les rues ou les associations, ça concerne aussi les communes ou encore les êtres vivants.
Si cette démarche de déboulonnage était autre chose qu’une démonstration de vertu ostentatoire, alors il faudrait se mettre à l’œuvre rapidement pour renommer des millions de sujets.

Burning History

Voir des gens chercher à réécrire l’Histoire pour s’éviter d’être salis par les actes passés d’autres personnes, ça donne surtout l’impression de voir des égoïstes se placer en tant que victimes tout en ne faisant rien pour les véritables victimes.

Évidemment, si les victimes demandent à ce que ces actions soient prises, alors ça mérite d’être réfléchi.

Cependant, je reste convaincu que si l’on arrêtait de vouloir en permanence glorifier des individus, qui, par nature, sont faillibles ; alors, on s’éviterait tous ces désagréments et on pourrait se concentrer sur l’essentiel : rendre justice aux victimes et prévenir de nouveaux actes illégaux.

Cachez ce Saint que je ne saurais voir.