Or donc, il y a une quinzaine de jours, l’ancienne Ministre des Droits des femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports puis Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Najat Vallaud-Belkacem publiait sur le site du Figaro une tribune sobrement intitulée Libérons-nous des écrans, rationnons internet !.
N’étant pas un lecteur habituel de ce site d’information, j’ai d’abord pu prendre de connaissance des différentes réactions que la tribune inspirait.
Si les justifications pouvaient varier ; certains y voyant des propos liberticides, voir pire, communistes, d’autres y voyant un non-sens technique, d’autres encore y voyant une personne parlant de choses qu’elle ne connaît pas ; il faut reconnaître que tout le monde s’accordait sur une chose : elle délire complet, la Najat !
La maintenant fameuse proposition des 3 Gigas par semaine me semblant un peu trop grossière pour être vraie, je lui accordais le bénéfice du doute : elle a exprimé beaucoup de choses et, comme toujours, ses détracteurs ont cherry-pick et interprété dans leur propre intérêt un micro-extrait de la tribune.
Cinq minutes plus tard, lecture terminée : non, elle propose bien de limiter la consommation d’Internet à trois gigas à utiliser sur une semaine, sans préciser s’il s’agit de bits ou d’octets, évidemment, un grand classique de facteur huit.
Au-delà de cette proposition sortie de nulle part et sans aucune justification concrète, sa tribune est malheureusement un gloubi-boulga qui mélange méconnaissances, imprécisions et tentative de lier des problématiques qui n’ont aucun rapport.
Plutôt que de démonter ses propos point par point, et risquer d’aborder, comme elle, des sujets que je ne maîtrise pas ; je vais me concentrer rapidement sur : le numérique.
Elle fait le lien direct entre nos rapports aux écrans, et […] internet. Si la consommation d’Internet des particuliers se fait majoritairement via un appareil disposant d’un écran, ça devient tout de suite différent si l’on regarde le traffic au niveau global. Et même si l’on reste chez les particuliers, la musique que diffuse actuellement mes enceintes, elle vient d’Internet, mais aucun écran n’est impliqué dans l’histoire.
Elle ne peut s’empêcher de glisser quelques mots clés afin de tenter de capter l’attention du lecteur ; les réseaux sociaux sont toxiques – en particulier pour les jeunes filles – […] les méfaits de la pornographie en ligne – sans oublier les enjeux liés au développement de l’IA et à la démocratisation des deep fake. Evidemment, parler de numérique en 2024 sans parler d’IA aurait été un énorme faux-pas. Pour autant, le problème de l’IA aujourd’hui ce n’est pas sa consommation de network (ce qu’implique sa proposition des troigiga) mais le compute, qu’elle n’adresse jamais, car elle ne sait pas de quoi elle parle.
Elle parle de réchauffement climatique, abordant indirectement la question de la pollution du numérique1 et sa solution est de réduire la consommation de network. Pourtant le réseau ne représente que 10% des GES du numérique ; là où les utilisateurs, via leurs appareils, représentent plus de 80% des GES !
Limiter la consommation de bande passante n’a donc, à priori, qu’un très faible potentiel pour lutter contre la pollution du numérique.
Forcer les fabricants à construire des produits durables, mettre en place des centres de réparation… aurait un impact bien plus concret.
Elle a choisi le network pour estimer la limite à imposer afin de reprendre le contrôle sur notre rapport aux écrans. Mais la réalité est évidemment bien plus complexe.
Aujourd’hui, les offres grand public de fibre optique peuvent monter jusqu’à 5 Gbit/s2. En admettant que sa proposition soit en gigaoctets, cela signifie qu’à plein débit, il suffit de moins de 5 secondes pour consommer l’intégralité du quota hebdomadaire.
Personne n’utilise sa connexion à plein débit en permanence, mais une semaine, c’est 604 800 secondes. Soit 378 900 Go de bande passante théorique disponible pour une offre à 5 Gbit/s.
NVB propose donc de créer une loi qui limiterait les gens à utiliser environ 0,0008% du service pour lequel ils paient.
Preuve en est qu’elle ne mesure absolument pas l’ampleur de sa méconnaissance du sujet.
Elle ne proposerait jamais une loi qui limiterait les gens à utiliser 0,8g de pâtes sur le sac de 1kg qu’ils ont acheté au supermarché.
Elle dit [o]n peut rédiger sur un traitement de texte ses courriels de la journée avant de les envoyer. On peut se déplacer pour aller poser une question à un collègue, voire bénéficier du fameux effet “machine à café” ce qui entend qu’elle inclue les usages numériques professionnels dans ses calculs.
Mais dans ce cas, qui porte la responsabilité ? Les usages numériques professionnels d’un individu sont décomptés de ses troigiga hebdomadaires ? Ou alors chaque entreprise possède un quota pour ses salariés ?
À ce jour, les personnes qui se penchent sérieusement sur ces questions, et depuis de nombreuses années, considèrent que ce qui est consommé/émis pour l’entreprise est de la responsabilité de l’entreprise.
Quel intérêt de parler des usages numériques professionnels puisque le salarié n’a pas grande maîtrise de cette question ?
Quand elle dit qu’il vaut mieux se déplacer pour aller poser une question à un collègue, j’imagine qu’elle parle de l’alternative à envoyer un message via une messagerie instantanée ?
Mais a-t-elle une idée de l’impact d’un message de ce type ? Et a-t-elle mesuré l’impact de l’usure des chaussures du salarié ? Sa surconsommation d’énergie pour se déplacer ? L’usure des sols de l’entreprise ?
Quitte à faire de l’enculage de mouches ridicule, autant y aller jusqu’au bout !
Surtout que puisque son problème, c’est le network, est-ce qu’elle a conscience que si aller poser une question à un collègue implique de badger pour passer une ou des portes sécurisées, cela va générer de l’échange de données numériques sur le réseau interne de l’entreprise ? On le décompte des troigiga ? Ou alors parce que ça n’implique pas d’écran ou ça ne passe pas par Internet, c’est gratuit ?
Et quand elle parle de bénéficier du fameux effet “machine à café” là ça me trigger complet, car non seulement c’est l’argument utilisé par tous les boomers depuis 2020 pour tenter de discréditer le télétravail, et je me suis déjà en partie exprimé sur le sujet ; mais aussi parce que quitte à parler de consommation problématique pour notre santé, celle de notre société et celle de l’environnement, utiliser le café comme une alternative positive, c’est pour le moins cocasse3. Cependant, c’est une drogue légale depuis des centaines d’années, alors c’est plus simple pour les boomers de s’attaquer à un sujet récent, plutôt que de remettre en cause des siècles de dérives de l’humanité.
Elle parle de la sédentarité néfaste qu’implique le numérique, mais concrètement, quelqu’un qui ne passe pas son dimanche devant Netflix, il va faire quoi ? Prendre sa voiture pour aller au Basic Fit ? Pas certain que ça soit un W pour l’environnement.
Enfin, quand elle dit on peut même, toute personne s’y connaissant un tant soit peu en programmation vous le dira, coder sans ordinateur, avec un crayon et un papier, c’est forcément ce qui m’a oté tout doute sur l’inutilité totale de ses propos.
Je m’y connais un tant soit peu en programmation et je peux le dire, coder avec un crayon sur du papier, c’est possible. Mais est-ce pertinent ?
Fondamentalement, programmer, c’est écrire des instructions afin d’obtenir un comportement attendu de la part d’une machine… numérique.
On peut très bien utiliser un support physique pour faire de l’algorithmique en pseudo-code ou ébaucher un futur développement, et, spoiler alert, c’est ce que font chaque jour des centaines de milliers de salariés du numérique.
Par contre, écrire un programme complet dans un vrai langage de programmation sur papier, c’est une perte de temps, d’énergie et de ressources, puisque pour l’exploiter, il faudra nécessairement le numériser.
Si on essaie de résumer sa tribune, ce qu’elle dit, c’est que, selon elle, aujourd’hui, une majorité de Français a un usage du numérique (et pas uniquement d’Internet) néfaste, pour l’individu, la société et l’environnement, car non maîtrisé.
Et plutôt que d’éduquer les citoyens (en tant qu’ancienne Ministre de l’Éducation nationale, elle sait parfaitement que ça fait longtemps que cette institution a été totalement abandonnée par les gouvernements successifs et ne peut plus remplir sa mission originelle), elle prône une solution offensive : légiférer.
[…] comme nous sommes incapables de nous poser des limites – admettons-le […] il faut que la contrainte vienne d’ailleurs : donc de la loi, donc de l’État.
Simple. Totalement à côté de la plaque.
Là où c’est intéressant, c’est qu’ici, on a un politicien qui demande des choses sur un sujet que je connais et sur lequel je peux facilement identifier que c’est claqué au sol.
Mais alors quand un politicien s’exprime sur un sujet que je ne maîtrise pas du tout, que faire ?
Ils sont des centaines à beugler quotidiennement, si je dois faire mes propres recherches à chaque fois, je ne suis pas rendu…
Peut-être est-ce plus simple d’exposer les arnaqueurs sur des sujets que l’on connaît, comme ici, et d’espérer que d’autres personnes bienveillantes feront de même sur les sujets qu’elles maîtrisent ?
Une sorte de participation citoyenne ?
Malgré tout, les sujets qu’elle aborde très maladroitement dans sa tribune sont bien réels et il y en a un en particulier sur lequel je vais rebondir.
J’avais prévu d’en faire un article dédié, mais autant faire du deux-en-un, ce qui permettra aux braves gens limitant leur consommation hebdomadaire d’Internet à troigiga, de profiter de plus de contenu pour un coût (de bits ?) restreint.
Si nous savons que nous n’avons que trois gigas à utiliser sur une semaine, nous n’allons sans doute pas les passer à mettre des commentaires haineux
L’une des principales raisons pour lesquelles je n’ai eu aucun mal à fermer mes comptes sur les principaux réseaux sociaux, c’est que je n’y voyais pas du tout l’aspect social.
Je n’ai aucune raison de m’y rendre pour échanger avec les gens que je connais déjà bien puisque j’ai des moyens de les contacter bien plus adaptés.
Sur ces plateformes, les interactions avec les inconnus sont très limitées : un like, un pouce bleu, un retweet…
À une époque il était possible d’avoir des vrais échanges avec ces inconnus, qui pouvaient alors devenir des connus, avec lesquels on basculait sur des outils plus adaptés.
Mais avec le temps, j’ai vu que les échanges se limitaient à des louanges qui avaient droit à un like pour unique réponse, ou alors à des insultes… qui en amenaient d’autres en réponse.
Super. Très constructif.
Aujourd’hui, ma relation avec ces comportements, c’est dans les commentaires des vidéos YouTube.
En bonus, on a aussi droit aux spams grossiers et contre lesquels la plateforme ne semble pas réussir à se prémunir ou alors ne souhaite pas le faire. Dans les deux cas ça m’est totalement incompréhensible compte tenu de son budget et de son armée d’ingénieurs.
Je m’égare.
Une partie des vidéos que je regarde sur YouTube tourne autour de sujets techniques, ce qui normalement devrait amener des échanges intéressants entre les spectateurs et l’auteur. Cependant, ce n’est pour ainsi dire jamais le cas.
Soit les gens vont dire c’est génial, superbe vidéo, merci !, soit ils vont contredire l’auteur d’une manière purement agressive, qui ne peut être le début d’une conversation saine.
Résultat, s’il m’arrive de vouloir commenter sous une vidéo, car j’ai une question ou une remarque à faire, je m’abstiens dans 99% de cas ; je sais que mon commentaire va être perdu dans le flot de messages inutiles (techniquement, il en fait partie), ou alors va faire de moi la cible de personnes mécontentes ou va pouvoir être mal interprété par l’auteur de la vidéo, habitué aux attaques permanentes.
Je peux toujours m’adresser directement à l’auteur via email ou autre, mais si échange il y a, il n’aura lieu qu’entre deux personnes, ça ne sera pas le début d’une discussion entre plusieurs individus qui pourront divaguer autant qu’ils le souhaitent, abordant des sujets totalement en dehors du scope initial.
Il existe encore à ce jour quelques rares espaces qui permettent ce genre d’échanges enrichissants, mais ils se font rares et je n’ai qu’une crainte, qu’ils finissent par disparaître, ensevelis sous la lie générale.
Ce triste constat m’est apparu il y a quelques semaines quand j’ai visionné une vidéo au titre putaclic qui promettait d’offrir des conseils pour avoir plus de temps chaque jour pour faire les choses qui nous importent.
Ces conseils étaient relativement simples : ne pas travailler et payer des gens pour faire les choses que l’on n’aime pas faire. Miraculeux !
J’ai hésité à poster un commentaire ironique. Puis un sérieux, expliquant calmement pourquoi ces conseils à chier, car inaccessibles au commun des mortels.
Cependant l’immense majorité des commentaires allaient dans le sens de l’auteur.
J’aurais beau y mettre toutes les formes de rigueur, mon commentaire allait forcément être perçu comme une attaque.
Alors je me suis abstenu et j’ai demandé à l’algorithme de ne plus me proposer ce genre de merde.
À mes yeux, laisser les gens croire ces conneries me semble moins grave que de passer pour un connard. Pas forcément très malin.
Et poster des louanges, au milieu des autres simps, en croyant que ça va apporter quoi que ce soit de positif dans ma vie ou celle de l’auteur ; c’est clairement du gâchis de mon quota de troigiga.
Tout ça pour dire que oui, les commentaires haineux sur Internet, c’est une vraie plaie.
Car ça blesse les personnes qui en sont les cibles, car ça pollue numériquement et physiquement ; et parce que face à un tel flot de merde, ça pousse à ne plus vouloir s’exprimer, par crainte d’être pris pour un de ces tristes sires.
Mais instaurer un quota de troigiga n’est absolument pas une solution.
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La pollution du numérique est l’impact physique concret qu’a l’usage du numérique sur l’environnement (consommation de ressources, d’énergie, émission de C02…) ; la pollution numérique, c’est comment le contenu (les pubs…) vient polluer nos yeux et nos esprits. ↩︎
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Peut-être que je ferai un jour un article sur la dépendance de notre société au café et ses conséquences catastrophiques. ↩︎