Depuis la révolution ChatGPT, de (trop) nombreuses personnes affirment ou s’inquiètent d’un futur où l’Intelligence Artificielle rendra notre espèce obsolète.
De manière plus populiste : ils nous volent notre travail !
La question qu’on me pose souvent, c’est de savoir si je n’ai pas peur que des managers/dirigeants décident d’utiliser une IA plutôt que de faire appel à mes services, et que je me retrouve sans activité professionnelle, grand-remplacé par un grand modèle de langage.
Ma réponse immédiate est : non.
Non, je n’ai pas peur et non, je ne pense pas pouvoir être remplacé par une IA.
Je ne vais pas aborder la partie peur, car je vais devoir rentrer dans des sujets bien plus vastes, dont le revenu de base, et c’est totalement en dehors de l’objet de cet article.
Concernant la question du remplacement ; pour pouvoir dire si l’on peut remplacer quelque chose par autre chose, il faut pouvoir établir clairement de quoi on parle.
Est-ce qu’on peut remplacer les frites à la cantine par des vis en inox ?
Dans mon cas, j’ai moi-même du mal à établir clairement en quoi consiste mon activité professionnelle.
Pour simplifier, je dirais que je fais en sorte que des infrastructures informatiques se comportent comme attendu.
Et l’élément crucial, c’est la fin : comme attendu.
Aujourd’hui la partie la plus complexe de mon travail, c’est d’interagir avec d’autres humains pour recueillir le besoin auprès des parties prenantes1, le comprendre, l’interpréter et le convertir en instructions pour les machines.
Ce que propose l’IA générative aujourd’hui, via des outils comme Copilot ou JetBrains AI Assistant, ça se charge uniquement de la partie conversion.
Et encore.
En effet, l’IA ce n’est pas magique (non, vraiment), et pour obtenir de bons résultats, c’est exactement comme travailler avec l’outil informatique sans IA : il faut exprimer correctement ce que l’on attend, sans quoi ça produira plus de désagréments qu’autre chose.
Ce n’est pas sans raison que le terme prompt engineering a fait son apparition.
À ne pas confondre avec l’ingénierie rapide comme le font les traducteurs automatiques programmés avec le cul.
Ainsi, pour que l’IA puisse me mettre à la porte, il faudrait que mon rôle d’assistante sociale ne soit plus nécessaire.
Ce qui correspond à un mélange de ces scénarios :
- les parties prenantes deviennent autonomes
- l’IA arrive à comprendre et interprêter les idées des parties prenantes
- il n’y a plus de besoins d’informatique
Les deux premiers scénarios sont similaires dans le principe : soit les parties prenantes montent en compétence, soit l’IA se rabaisse à leur niveau.
Concernant la montée en compétence des parties prenantes, je n’ai pas le moindre doute que ça n’arrivera jamais.
On nous avait déjà promis ça avec le no-code ; on attend toujours les résultats.
Mais surtout, quiconque a déjà travaillé dans une posture d’expert face à des parties prenantes, se reconnaîtra totalement dans cette vidéo publiée il y a plus de 10 ans.
Personnellement, je la regarde plusieurs fois par an, pour me rappeler que je ne suis pas fou ; ce que je vis et je ressens n’est pas un cas isolé, mais la triste réalité de millions d’experts.
C’en est même douloureux tant ce qu’elle décrit est juste.
Elle illustre parfaitement le problème dont je parlais sur le métier : c’est avant tout savoir gérer l’humain qui importe.
Sans savoir comprendre, discuter, conseiller… impossible de faire quoi que ce soit.
Ces caractéristiques de d’intelligence humaine, l’IA n’y est pas du tout et n’y sera probablement jamais.
Car il est nécessaire de contextualiser fortement les échanges, de savoir prendre des informations de communication non verbale… pour pouvoir avancer.
Pour appuyer mon propos dans le contexte de la vidéo, j’ai fort logiquement soumis la requête des parties prenantes à plusieurs modèles, pour voir ce qu’ils répondraient.
GPT4 Turbo | Claude 3 Opus | Gemini 1.5 Pro | Mistral Large |
---|---|---|---|
La réponse de Gemini a clairement ma préférence, car c’est celle que j’aimerais pouvoir donner dans cette situation. I choose violence.
La réponse de Claude est la plus neutre.
La réponse de Mistral est inquiétante. Elle mélange non-respect du besoin et contradictions totales. C’est le modèle qui aurait la faveur des parties prenantes puisque, non seulement il dit que c’est possible, mais il fournit en plus des indications qui confortent cette idée totalement fausse.
La réponse de GPT4 est la meilleure. Elle donne la bonne réponse, justifie pourquoi c’est impossible et, surtout, suggère ce qui va dans le sens de mon propos : demander une clarification ou une reformulation !
Autre exemple concret sur le sujet : de nombreuses entreprises de l’IT ont tenté, à l’instar d’une grande partie de l’industrie manufacturière, de délocaliser dans des pays avec des salaires bien moins élevés.
Avec des résultats douteux, qui expliquent pourquoi, en France, la demande reste bien supérieure à l’offre.
Signe, probable, que ce n’est pas qu’une question de compétences techniques pures.
On peut toujours se convaincre que, vu l’évolution extrêmement rapide de l’IA, on y arrivera, à produire quelque-chose qui saura faire tout ça.
Humainement, j’en doute fortement, d’autant plus que les personnes qui se penchent le plus sur la question ne sont pas celles qui ont la meilleure compréhension du sujet.
Physiquement, surtout, la réalité des limites physiques de notre planète va rapidement se rappeler à tous.
Si l’intelligence est artificielle, les modèles qui la propulsent, eux, sont entraînés puis exploités avec des ordinateurs et de l’énergie bien réelle.
C’est un sujet qui devient de plus en plus concret et même des personnes comme Zuckerberg en parlent maintenant publiquement.
D’ailleurs, c’est fou ; je cite Zuckerberg et je suis d’accord avec lui.
Je n’aurais jamais cru ça possible un jour !
L’échec cuisant de son métavers semble l’avoir enfin fait atterrir parmi les humains.
Comme quoi, il ne faut jamais dire jamais ?
Enfin, le scénario de la disparition des besoins en informatique en découle quelque-peu ; à savoir que l’on aura fini par épuiser toutes les ressources, nous obligeant à retourner à l’âge de pierre sans ordinateur et sans smartphone.
Finalement tout cela implique de profonds changements de société qui me portent à croire que si on devait y arriver, la question de mon activité professionnelle ne serait clairement plus une préoccupation majeure.
Je n’exclus pas d’être totalement dans l’erreur, mais l’état actuel de mes connaissances sur ces questions me pousse à mettre cela très bas sur la liste de mes sujets d’inquiétude vis à vis de l’avenir.
Pour ceux qui ont apprécié la vidéo de l’expert, je conseille les autres créations disponibles sur la chaîne de l’auteur.
Dans la même veine, mais beaucoup plus orienté IT, il y a les légendaires Krazam et également Programmers are also human.
Désolé pour le manque d’originalité dans le titre ; c’est un jeu de mots déjà très fatigué.
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Oui, je maîtrise le langage corporate de merde. ↩︎