Parmi les mythes fondateurs du septième art, d’abord celui d’avoir cru le cinéma populaire et accessible à tous. Une production centrée sur l’humain, à destination de tous. Du moins sur le papier.
[…]
La hanche oblique et le geste sûr, j’ouvre les bras et les portes battantes de la salle 1 de mon Pathé Wepler […] à Paris.

Mais quelle est cette nouvelle distribution qui s’étale sous mes yeux ? Au centre du royaume trônent des fauteuils gris, en périphérie côté douves, les rouges. Une différence de 1 à 3 euros en supplément les sépare. L’adjoint du Shérif posté au seuil n’a pas l’air troll et grince sinistrement entre ses incisives : “Duo-premium-fauteuils-gris, standard-fauteuils-rouges, puis-je-voir-votre-billet-s’il-vous-plaît ?”

En ma qualité de labellisé “standard”, je ne peux m’empêcher de lui rétorquer, l’œil plissé et la moue naissante :

“Hey John-Nazgûl, écarte-toi de mon chemin et préviens ton maître que ta seule vue me chatouille la soufflante…”

Dans ma tête seulement, car déjà la horde sauvage qui vrombit derrière me propulse plus avant. […]

Je descends la travée. C’est vraiment le bordel. Les gens râlent, les bandes-annonces défilent et les langues se délient. “C’est dégueulasse, c’est quoi cette histoire de premium et de standards ?” Certains applaudissent, bon nombre sourient en coin (un peu moins au centre), d’autres clament rigolards “Révolutioooon !”, “Pathé, enfoirés”. Une grise se récrie, ulcérée :

“Vous n’avez qu’à aller dans un cinéma indépendant si vous n’êtes pas contents !”

Mais déjà le sens civique du cinéphile nous rappelle à la raison, invoquant d’un vœu muet le silence requis. […] A la sortie, le règlement de comptes se poursuit.
[…]
Réunir dans une même salle deux populations en marquant ostensiblement leurs différences (de revenus), il y a quelque chose d’aussi dégueulasse que révoltant.

Au centre et bien en vue, la classe Premium. A la marge, place aux torticolis ! Les moins fortunés ont le droit de se contorsionner devant, derrière ou sur les côtés pour apprécier le même spectacle.
[…]
Réunir tout un chacun autour d’une passion commune, d’une émotion partagée, faisait encore la beauté du cinéma. Désormais, comme si la barrière du prix à l’entrée ne suffisait plus, on l’a maintenant… dedans.
[Cinéma : Gaumont Pathé réveille la lutte des places sur Rue89.com]

Il est ici question du réseau Gaumont/Pathé, et non d’UGC, mais m’est avis que c’est une évolution globale du cinéma qui se dessine. Alors personnellement, ce n’est qu’un argument de plus pour ne pas renouveler l’expérience.