S’il y a bien une réalité que j’ai admise depuis longtemps, c’est que, de par mon métier, je n’aurai jamais un impact positif sur la société ou sur la planète.
Peu importe ce sur quoi je travaillerai.
Il vaut mieux être réaliste que se bercer d’illusions ou vivre tout simplement dans le déni.
Raison pour laquelle je cherche à compenser en dépensant une partie de mon argent ou en consacrant une fraction de mon temps libre à des causes un peu plus nobles.
Super.
Cependant, il reste un problème, c’est que régulièrement je me pose la question de savoir si ce que je fais a une quelconque utilité.
Ne pas améliorer les choses, soit, mais est-ce que ça a tout de même une utilité ?
Est-ce que je ne serai pas un de ces tristes sires qui occuperaient un emploi à la con1 ?
Cette question, je me la pose surtout en dehors du travail. En particulier quand je vois une personne faire usage de ses compétences professionnelles pour rendre service à un proche.
Typiquement, un plombier qui vient réparer une fuite chez un ami en échange d’un café. Ou un médecin qui rassure son cousin qui pense avoir attrapé un cancer après avoir cherché ses symptômes sur Internet.
En dehors de ces exemples évidents, issus de professions bénéfiques à la société ; c’est aussi valable pour les parasites travaillant dans l’immobilier ou la finance, qui pourraient assister des connaissances souhaitant s’enrichir toujours plus ou souhaitant éviter de trop se faire avoir par d’autres parasites.
Mais moi ?
Qui a besoin qu’on lui développe une application basée sur une architecture micro-services et qu’on lui terraforme l’infrastructure pour la déployer ?
J’ai bien eu des connaissances qui voulaient que je leur développe un site vitrine pour leur entreprise, et ça s’est même concrétisé à deux reprises.
Cependant, la plupart du temps, quand je leur explique ce que ça implique en termes de coûts humains, en particulier de leur part pour bien spécifier leurs besoins, et de resources informatiques, ils décident rapidement que faire de la pub dans la presse locale sera un bien meilleur investissement.
Avec l’avènement des réseaux sociaux, cette notion de site vitrine a en plus complètement disparue.
Résultat, quand je vois quelqu’un utiliser ses compétences professionnelles pour aider une autre personne, je me sens con et me questionne sur l’utilité de mon métier.
Jusqu’à ce que le weekend dernier, après avoir passé trois heures au téléphone à dépanner l’ordinateur professionnel d’un membre de ma famille qui ne pouvait partager son écran à cause de restrictions mises en place par son employeur, je me pose la question suivante : pourquoi est-ce que c’est moi qu’on avait appelé ?
Dans la même veine, pendant les fêtes, j’avais encore passé plusieurs demi-journées à m’occuper des ordinateurs et autres smartphones de la famille et des voisins.
Pourquoi est-ce que c’était tombé sur moi ?
Après tout, ce genre de tâche ne fait aucunement partie de mes attributions professionnelles.
Soit il y a d’autres personnes plus qualifiées sur le sujet et dont c’est le job, soit je le fais uniquement pour mon propre équipement afin de gagner du temps, soit ce sont des problèmes que je ne rencontre pas dans un cadre professionnel.
Est-ce qu’on va demander à un oncle vendeur chez Darty de réparer le réfrigérateur qui déconne ?
Est-ce qu’on va demander à la belle-sœur créatrice de mode de faire les ourlets au nouveau pantalon que l’on vient d’acheter ?
Alors pourquoi ?
D’autant plus qu’il y a de grandes chances que ces personnes sachent traiter les problèmes informatiques que l’on va confier à l’informaticien, car c’est généralement superficiel et concerne des applications avec lesquelles ces personnes peuvent être très familières.
Alors pourquoi ?
D’autant plus que j’ai probablement plus de chance de résoudre un problème bien réel avec une boîte à outils que de dépanner un satané Samsung fatigué sous Android.
Alors pourquoi ?
J’imagine que l’explication la plus simple, c’est que puisque tu travailles dans l’informatique, alors tu sais faire fonctionner une imprimante ou faire en sorte que l’ordinateur arrête de ramer ; l’informatique étant un domaine suffisamment mystérieux pour l’utilisateur lambda pour que ce raisonnement semble logique.
On peut aussi imaginer qu’avant de se tourner vers l’informaticien, les gens avec des problèmes ont demandé de l’aide à des personnes ne travaillant pas dans le domaine et qui auraient pu aider ; ne serait-ce qu’en cherchant des pistes avec eux sur Internet.
Mais sachant le caractère ingrât et chiant de la tâche, ont préféré botter en touche, en expliquant qu’ils n’y connaissaient rien et que peut-être X serait plus à même d’aider puisque c’est son métier.
D’autres raisons peuvent être tout aussi recevables.
Cependant, ce n’est pas important.
Non, ce qui importe, c’est qu’en tant que personne travaillant dans l’informatique et dont l’activité professionnelle a un intérêt très relatif pour la société ; il est de mon devoir de consacrer une partie de mon temps libre à prétendre exercer mon métier gratuitement pour aider mes proches afin d’avoir un impact positif sur la société.
Après tout, ma tante est tout aussi satisfaite quand je récupère les photos de son petit-fils qu’elle pensait avoir perdues que quand mon cousin répare sa chasse d’eau2.
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Je ne veux pas me la péter, mais j’aurai pu la réparer moi-même sa chasse d’eau. ↩︎