Lorsque j’avais quinze ou seize ans, discutant avec mon oncle de mes projets d’avenir, j’avais évoqué l’idée qui me trottait dans la tête depuis quelques temps : devenir instit.
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Bien plus tard […] c’est cette fois un cousin (famille je vous aime…) qui y allait de son laïus sur les instits.
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J’ai essayé tant bien que mal de défendre ma profession, lui soutenant que c’est quand même du travail, qu’on n’a JAMAIS ces fameuses 16 semaines de vacances, que c’est un boulot de dingue qu’on a du mal à lâcher, qu’on y pense très souvent (pour ne pas dire tout le temps), qu’à côté des 24 heures avec la classe on en a je ne sais combien de préparation, corrections, réflexion sur les projets à réaliser… Mais impossible de lui faire admettre ces arguments. “Oui, enfin pour 90% des instits il y a juste à refaire le même programme chaque année, quand même…”.
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Tout cela a mûri, et l’année dernière j’ai décidé de les compter, ces heures. Juste pour savoir. Juste pour avoir, la prochaine fois qu’une conversation de ce type me tomberait dessus, de vrais arguments, avec des chiffres. Alors j’ai noté, chaque jour, entre le 1er septembre 2012 et le 31 août 2013, le nombre d’heures que j’ai passées à travailler pour l’école : non seulement les heures face à mes élèves, mais aussi la préparation à la maison, les photocopies, les réunions, les conférences pédagogiques, les rendez-vous avec les parents, le temps passé à aller chercher tel matériel à la bibliothèque, tel autre au centre de ressources EPS… Tout ce travail invisible, qui se fait le soir, qui se fait le week-end, qui se fait pendant ces fameuses “vacances”.
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Sur le total de l’année, j’ai donc travaillé 2 125 heures. Ce qui ne vous éclaire pas des masses, j’en conviens. J’ai donc ôté les 5 semaines de congés de Monsieur-tout-le-monde, et divisé par les 47 semaines restantes. Ce qui me fait un total de 45 heures par semaine (un poil plus, mais je vous fais grâce des chiffres après la virgule).
Voilà, maintenant je le sais : j’ai travaillé en moyenne 45 heures par semaine, en comptant mes soi-disant vacances.
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Maintenant que ce constat est fait : “Et alors ? Qu’est-ce que tu veux ?” me demanderez-vous. Oh trois fois rien. Même pas une augmentation de salaire, voyez-vous, (bien que je trouve que 1 685 euros par mois ce n’est pas forcément très cher payé au vu de mes horaires). Mais même pas. Parce qu’en fait, JE NE ME PLAINS PAS ! J’y passe un temps de dingue, je vois bien que parfois ça empiète sur ma vie familiale, mais (c’est fou) J’AIME mon métier. Profondément. Je me sens chanceuse de pouvoir exercer un métier qui me passionne, et je sais surtout que ce n’est pas donné à tout le monde.
Alors la seule chose que j’aimerais, c’est que le message passe : que celui qui a lu ce texte puisse en parler autour de lui quand il assiste à une conversation sur ces fonctionnaires qui ne foutent rien, sur ces instits qui ne savent pas ce que c’est que le vrai travail de la France qui se lève tôt, sur leurs 16 semaines de vacances par an. Pas qu’on me plaigne, juste qu’on me comprenne.
[Ça bosse combien, un instit ?… sur Ipernity.com]
Malheureusement, pour avoir déjà essayé de discuter avec ce genre d’individus, persuadés de tout mieux savoir que les autres, je les entend déjà répondre “Oui mais c’est une exception; y’en a partout. Quand je vois l’instit du petit dernier, je peux te dire qu’elle est bien loin de faire 35 heures, alors 45…”.