Courant juillet, l’INRA publiait dans Nature un article intitulé Evidence that organic farming promotes pest control et présentant les résultats d’une analyse de la littérature scientifique actuelle.
Un résumé un peu plus long y est consacré sur le site de l’institut.
N’ayant pas lu l’article complet, je ne peux m’exprimer sur le sujet. Toutefois, à cette étape je note quelques incohérences.
Ainsi l’article de Nature parle de pest control, qui fait normalement référence à toutes les méthodes visant à protéger quelque chose (ici, les cultures) des animaux jugés nuisibles. Ce qui correspondrait en français à l’usage d’insecticides et (partiellement) de parasiticides.
Mais dans l’article il est aussi question de weed infestation. De mauvaises herbes. Ce qui n’est pas la même chose et fait référence à l’usage d’herbicides.
Le résumé sur le site de l’INRA est encore plus large puisqu’il parle de bioagresseurs et exprime clairement les choses : adventices, plus communément appelées “mauvaises herbes”.
Résultat, on ne sait pas trop de quoi parle l’étude car si elle indique que le Bio semblerait être plus efficace pour lutter contre les parasites et les agents pathogènes, elle l’est beaucoup moins concernant les mauvaises herbes. Et ce tout dernier point est important.
En effet, si cet article avait eu peu d’échos lors de sa publication, probablement éclipsé par l’affaire Benalla sortie quelques jours plus tard, il a eu droit à une plus grosse exposition récemment, après la condamnation de Monsanto à payer 289 millions de dollars à un jardinier américain qui aurait contracté un cancer suite à l’exposition répétée au glyphosate contenu dans des produits de la société.
C’était beaucoup trop tentant pour les journalistes : non seulement la justice américaine reconnaît que le glyphosate est mauvais pour la santé, mais en plus un établissement scientifique public français a annoncé quelques semaines plus tôt que le recours à ce type de produits est moins productif que l’agriculture biologique.
Quel intérêt alors à se tuer la santé si en plus le résultat est moindre ?
Problème : le glyphosate est un herbicide, qui vise donc à supprimer les adventices pour favoriser le rendement des cultures. Et l’INRA affirme que les systèmes de culture AB montrent des niveaux d’infestation par les adventices plus élevés que les systèmes de culture AC.
En résumé, il n’y avait aucun lien à tirer entre la condamnation de Monsanto et l’article de l’INRA. Merci les journalistes.
Cependant, la véracité du contenu médiatique n’ayant plus aucune importance de nos jours, ces articles ont fait mauvaise presse aux maquisards de l’agriculture conventionnelle (AC) et il fallait répondre à ces accusations.
C’est ainsi que depuis quelques jours, je vois défiler de nombreuses affirmations visant à rabaisser l’agriculture biologique (AB). Et ce matin, je suis tombé sur ce tweet :
Ce qui m’a immédiatement attiré dans son message ce n’est pas l’usage d’un discours haineux habituel mais le choix très ciblé du blé tendre d’hiver.
Pourquoi choisir cette culture très précise ?
J’ouvre alors son histogramme :
L’objectif ce celui-ci semble clair : démontrer que les rendements de blé tendre d’hiver sont inférieurs dans l’agriculture biologique que dans la conventionnelle.
Pourtant une chose me dérange : que représente l’ordonnée ? Comme disait un de mes professeurs de maths : “des patates ? des carottes ?”. J’imagine que non puisque l’on parle de blé tendre d’hiver.
Je fais défiler le tweet et arrive sur sa source, l’Académie de l’Agriculture de France. Connais pas, mais c’est pas grave.
Là, on a droit au même histogramme, sans unités. Mais un petit texte l’accompagne en dessous, où l’auteur affirme entre autre que contrairement à l’opinion répandue, les rendements de l’AB ne sont pas de 20 à 30% inférieurs à ceux de l’AC, mais situé entre 52 et 68% !
Il source brièvement ses conclusions avant de fournir un lien vers un PDF.
Celui-ci ne contient toujours pas d’unité d’ordonnée mais au moins nous apprend la signification de la couleur.
Le jaune représente l’ensemble des surfaces et le vert la production biologique.
Et c’est à cet instant que j’ai décidé d’ouvrir mon éditeur WordPress.
D’un côté il est question de surfaces et de l’autre de production.
Allô ? Nan mais allô quoi !
Ça revient à comparer des choux et des carottes alors que, pour rappel, c’est le blé tendre d’hiver qui nous intéresse. Sans que l’on sache toujours pourquoi d’ailleurs.
Mais passons.
Admettons que l’on compare bien des choses comparables et que, d’après les chiffres disponibles, l’ordonnée représente un rendement avec pour unité 100kg/ha. C’est après-tout ce qu’utilise l’AGRESTE sur le site du ministère de l’agriculture pour parler de la production végétale de 2017, avec des valeurs qui semblent correspondre.
Voilà.
Alors dans ce cas, le jaune, ensemble des surfaces, correspondrait au rendement de… l’ensemble des surfaces ? C’est à dire l’AB et l’AC combinées ? C’est bien ce que veut dire ensemble, non ?
Résultat, l’AAF affirme qu’en 2008 l’écart atteint 68%.
Effectivement, 1-(23/72), ça fait bien 0.68. Mais c’est par rapport à l’ensemble des cultures, AB et AC mélangées, et non par rapport à l’AC uniquement.
Si 72 est la moyenne AB (=23) comprise, la moyenne de l’AC doit être encore supérieure à ce nombre.
Et donc l’écart entre AB et AC encore bien supérieur à 68%. Pourtant ce chiffre semble convenir à l’auteur.
Les données jaunes semblent basées sur ce fichier de l’Agreste. Et il n’est jamais fait référence à l’agriculture biologique. Même dans les définitions et concepts de la méthodologie appliquée pour produire la statistique agricole annuelle utilisée par l’AAF.
On notera au passage l’usage des doubles flèches pour bien expliquer au lecteur à quelles années correspondent chaque colonnes. Facilitant encore une fois la lecture du document dans le sens qu’on souhaitait lui donner.
Peut-être que les chiffres sont bons. Peut-être qu’ils sous-estiment l’AC. Ou l’AB.
Toujours est-il que l’histogramme utilisé pour décrédibiliser l’AB est loin d’être exemplaire et tout porte à croire qu’il vise à tromper étant donné les convictions des personnes qui s’en font le relais.
Et surtout, le choix du blé tendre d’hiver n’est jamais explicité. Même si j’imagine que le fait qu’il soit, d’après les chiffres, la plus importante production française, est en certainement la raison.
Pour en revenir au tweet initial, en admettant que ces chiffres soient vrais, ils ne permettent toutefois pas de justifier que l’usage de produits tels que le glyphosate sont sanitaires et environnementaux.
Reste qu’il est plus que jamais important de rester critique envers ce que l’on nous diffuse. Surtout lorsque ça concerne un sujet qui semble anodin mais qui revêt d’une importance quasi-vitale pour certains. Que ce soit les journalistes ou les lobbyistes, volontaires ou non.