Réveil un peu avant 6h, je monte sur le vélo pour me diriger vers la toute nouvelle extension Neokyo de Makuri Islands, enfile mes écouteurs, démarre Spotify sur l’iPhone et lance le tant attendu Civilisation.

Quelques dizaines de kilomètres virtuels et deux écoutes plus tard, ma réaction à chaud. Déconstruite, comme l’album.

OrelSan l’explique très bien lui-même dans Casseurs Flowters Infinity : J’ai fait un album qui parle que d’ma meuf et d’la société. Voilà, donc résumé, on alterne les chansons sur sa copine et sur la société (française).
Mais aussi l’alcool.

Dans le premier single sorti mercredi, L’odeur de l’essence, il annonçait plus ou moins la couleur :

Les parents picolent, c’est les enfants qui trinquent
Accidents d’bagnole, violences conjugales
L’alcool est toujours à la racine du mal
Rien remplit plus l’hôpital et l’tribunal
On n’assume pas d’être alcoolique, c’est relou d’en dire du mal

Ensuite, dans l’ordre de l’album on a :

  • La quête : On boit des bières, on fume des joints, et j’raconte tout ça dans mes raps
  • Du propre : Cinq heures du mat’ sur le port, un dernier shot (dernier shot) […] Autopilote (autopilotе), encore un derniеr shot (shot, shot, shot, shot) […] Dernier shot (dernier shot), j’pète une clope (j’pète une clope)
  • Bébéoa (comprendre Bébé boit) : Tout le morceau est sur sa chérie [qui] préfère l’alcool que (sic) moi donc je pourrai tout citer…
  • Seul avec du monde autour : Ensemble comme alcool et clope, j’m’en branle, j’écoute que d’la K-Pop […] J’rejoins mon père au stade, on prend deux buts, on prend deux bières
  • Manifeste : Il a les poches pleines de grandes Heineken; M’en propose une, j’refuse vu qu’il est onze heures à peine […] Me propose une bière, treize heures, j’accepte de boire; Quinze minutes plus tard, j’commence à kiffer […] Ressort une minute plus tard à la Fort Boyard, les bras remplis d’grandes canettes […] Mickey lui tte-je une grande bière dans la bouche, on s’réfugie dans la foule […] J’me dis qu’la cannette dans la tête, c’était p’t-être pas la peine […] Ou juste il s’imagine rien vu qu’il a bu quinze Heineken
  • Baise le monde : Tout ira bien tant qu’mon verre est plein […] Whisky coca dans un gobelet en plastique […] Monte le son, monte le son pendant que je fais péter le Champ'
  • Casseurs Flowters Infinity : On éclate le champagne au ralenti […] On crache le feu, tes oreilles flambent, whisky coca, j’me brosse les dents […] Modelo à Mexico, Sapporo à Osaka
  • Dernier verre : Le titre se suffit à lui-même puisque le contenu (de la chanson comme du verre) correspond
  • Civilisation : J’connais qu’les mauvais alcools qui donnent l’alcool mauvais

Sur quinze morceaux on en a quand même neuf qui font référence à l’alcool, dont deux qui lui sont carrément dédiés. Impressionnant.

Orelsan Civilisation

Concernant l’album au global, je serai plutôt tenté de le nommer Contradiction(s) plutôt que Civilisation. En effet, on a beaucoup de propos qui se contredisent au fil des morceaux.

Sur sa copine évidemment. Dans Bébéoa il semble dire qu’elle est alcoolique et parle des implications pour leur vie de couple et la sienne : Elle boit qu’le soir mais bon j’suis pas là d’la journée; J’stresse quand j’rentre, j’sais pas comment j’vais la r’trouver […] Une clope allumée dans la bouche, j’veux mourir.
Pourtant dans La Quête, il semble dire que son mariage est plutôt une bonne chose : Mon frangin filme quand j’mets la bague, ma frangine anime le mariage […] Maman est là, mon père est fier, et l’Univers n’est pas si mal.
Même chose dans Seul avec du monde autour : Faut croire que la vie est belle, j’vais pas t’cacher que la vie est belle […] En chausson dans mes crocs, j’emmène ma zouz’ au mini-golf; On vit avant d’avoir des gosses, ouais, ouais.
Dans Manifeste, sa situation sentimentale le pousse à ne pas chercher aller plus loin avec une inconnue : Donc pile le genre de meufs qui m’énerve et qui m’attire […] T’façon, j’ai une meuf.
Même s’il doute (à cause de l’alcool) dans Dernier verre, il dit bien ce qu’il ressent pour sa copine : Sinon qu’est-ce que j’peux faire à trois heures du mat’ avec une bonne meuf ?; À part peut-être niquer ma vie et celle de la fille que j’aime en lui brisant l’cœur.
Sur Ensemble, c’est une seconde déclaration d’amour (après Paradis sur La fête est finie) avec un peu de recul sur leur relation : Viens, on reste ensemble […] À notre âge, les couples tombent comme des feuilles, on tiendra jusqu’au printemps […] J’te promets d’avoir des doutes; Parce que douter, c’est l’contraire de s’en foutre, ouais […] Y a pas d’notice de l’amour, faut juste en faire un p’tit peu tous les jours, ouais […] Mais maintenant qu’je sais qu’j’pourrais t’perdre; J’ferai d’mon mieux pour te garder.
Et Athéna est dédiée à sa copine (maintenant femme) : Parce que j’aime mieux quand t’es là; Tu m’protèges et guide mes pas, Athéna […] Et crois-moi, je sais pourquoi je t’aime, dix ans m’le rappellent.

A propos de l’argent, dans Shonen il dit qu’il a su rester vrai et honnête : J’refuse des sommes, j’refuse des chèques avec plein d’chiffres, genre six ou sept; C’est mon intégrité qu’j’achète, c’est c’que j’appelle payer l’prix des rêves, hein.
Il insiste dans Seul avec du monde autour où il joue la carte de la simplicité : Mais j’viens de prendre une maison près d’Caen où ma famille passe les dimanches […] J’essaie d’apprendre à cuisiner, genre de faire autre chose que des pâtes; Une fois sur deux, j’rate mes plats donc en attendant, j’mange des pâtes; J’ai max une barre de 3G, lève le bras pour capter; Vingt minutes pour mater une vidéo qu’en fait quatre, ouais; J’rejoins mon père au stade, on prend deux buts, on prend deux bières; J’retourne chez moi j’allume Fifa, j’reprends Malherbe, j’continue d’perdre, ouais.
Pourtant dans Du propre il met en avant ses revenus conséquents : San, trente fois l’salaire de tes profs, bam, pour dire d’la merde à tes gosses (San); et finalement, toujours dans Seul avec du monde autour, quand il dit C’est fou, j’travaille tout le temps mais c’est les vacances dans ma tête Faut croire que la vie est belle, j’vais pas t’cacher que la vie est belle; ça ne trompe personne. Cette situation enviable il la doit à son succès, mais elle est très éloignée de la réalité des gens qu’il décrit dans Manifeste. C’est d’ailleurs peut-être le sens de Seul avec du monde autour ? Il vit dans une bulle ?

Concernant la religion, dans Shonen il dit : J’ai besoin d’quelque chose de plus grand qu’moi, besoin d’âme, j’suis qu’un fils de païen.
Puis dans La Quête : J’fais quelques cours de catéchisme mais j’suis pas sûr de croire en Dieu.
Dans Seul avec du monde autour : Ma grand-mère part à la messe pendant que ma nièce regarde “Les Anges”.
C’est quoi un païen ?

Sur le dernier morceau, Civilisation, il parle des méfaits des multinationales du numérique : Que d’la data pour les GAFA, bâtard, t’es rien d’autre qu’une donnée.
Mais il a lui-même fait une série avec Amazon comme il le rappelle avec Gringe dans Casseurs Flowters Infinity : Docu’ sur Amazon, on les Bezos (on les Bezos).
GAFA, si l’un des deux A est pour Apple, l’autre est pour… Amazon.

Dans Baise le monde, il semble critiquer la mode : Deux cents kilomètres jusqu’à la sérigraphie yeah, pour mettre le logo d’un designer méga riche, yeah; Qu’écoutent des mecs qu’ont payé une grande école; Qui réfléchissent à comment vendre cette merde à tes gosses; Comme ils ont pas d’idée ils paient une star des millions; Pour mettre une affiche en boutique avec son p’tit nom.
Pourtant il a lui même sa propre marque, Avnier, dont il fait la promotion en portant les produits dans ses clips, dans les médias et en concert; et qui coche toutes les cases de ce qu’il décrit ici.

Concernant l’environnement et l’avenir de la planète, il semble dire que c’est un faux sujet puisqu’il le met au même niveau que le grand remplacement dans L’odeur de l’essence : (Regarde) La peur les persuader qu’des étrangers vont v’nir dans leurs salons pour les remplacer […] (Écoute) La panique les pousser à crier qu’la Terre meurt et personne en a rien à branler. Il semblerait qu’il considère que ceux qui s’inquiètent de l’avenir de la planète et qui alertent les autres pour changer les choses ne font ça que par intérêt personnel (et plus précisément électoraliste ici). Il insiste un peu plus loin avec Certains disent “c’est foutu”, d’autres sont dans l’déni où il semble sous-entendre qu’il n’existe pas de position intermédiaire sur la situation. Mais où se place-t-il alors ?
Et pourtant, dans Baise le monde, il indique clairement que la façon dont nous vivons actuellement nous fait courir à notre perte : Mentalité zéro lendemain […] Whisky coca dans un gobelet en plastique; Qui finira peut être dans l’océan Pacifique; Ou en particule toxique dans l’organisme […] Open bar, j’me sers un toast avec une grosse crevette; Pêché par un chalutier à l’est de Madagascar; Qui détruit la barrière de corail sur son passage […] Pour un SUV qui consomme énormément; Pendant que la pollution fait quatre millions de morts par an.
Il insiste d’ailleurs à la fin, dans Civilisation : J’sais pas comment sauver l’monde et, si j’savais, j’suis pas sûr qu’j’le ferais […] Quand il verra 2022, j’comprendrai qu’il s’mette à pleurer; Ils disent que tout va s’effondrer, qu’on va y passer dans trois degrés J’pensais qu’la science allait nous sauver mais j’ai d’moins en moins confiance au progrès […] Piégé dans notre propre système, prisonnier dans une sauvegarde bloquante […] Oublie l’futur, c’était avant, oublie l’futur d’avant; C’est pas sûr qu’on soit d’dans, apprends-moi l’pardon, la patience; Faut qu’on soit meilleurs qu’nos parents, faut qu’on apprenne à désapprendre.
Cela donne l’impression qu’il semble vouloir prendre position tout en ne se mouillant pas trop, pour éviter de froisser, pour éviter qu’on lui reproche de ne pas agir en cohérence avec ses propos… Il lance des évidences mais s’arrête-là. Un peu à l’image de ce qu’il dit dans Manifeste, d’ailleurs : Qu’est-ce que j’fous dans une putain d’manif’ ?; J’suis pas concerné par la société, j’suis un putain d’artiste.
Serait-il devenu exactement celui qu’il dénonçait dans Suicide social : Adieu ces pseudo-artistes engagés; Plein d’banalités démagogues dans la trachée; Écouter des chanteurs faire la morale ça m’fait chier; Essaie d’écrire des bonnes paroles avant d’la prêcher. Difficile de ne pas faire le rapprochement.

Artistiquement, j’ai surtout le sentiment que ça manque de punchlines dont il avait le secret jusqu’à présent. Et au delà du fond des paroles, la forme ne paraît pas à la hauteur des prods de Skread. Shonen et ses rimes en hein; Bébéoa et son refrain Bébé boit, bébé boit, bébé tise, bébé boit; Baise le monde et ses Nah, nah, nah, nah, nah; Casseurs Flowteurs Infinity et ses Bim badabim, bim badaboum déjà vus; Dernier verre et ses Oh na, nana, nana, nana, nana; Ensemble et son Viens, on reste ensemble répété vingt et une fois; et enfin Athéna et Pour de vrai, de vrai, de vrai, de vrai, de vrai, de vrai. On l’a connu (beaucoup) plus inspiré !

Après il y a forcément du positif. Manifeste, même si ça sonne un peu faux venant de lui, c’est un truc unique sur sept minutes, une vrai expérience auditive. La métaphore de la copine France qui est la société française, c’est stylé. Ça rappelle un Demain c’est loin version Wish. Dans les cases bleues du Monopoly on manifeste est le genre de punchline signature OrelSan, mais c’est probablement la seule malheureusement.
Même si c’est le bazar, c’est proprement construit puisque Shonen, le premier morceau, se termine comme Civilisation, le dernier : Bientôt, vous allez tous m’oublier, désolé mais j’vais d’voir vous quitter; Dis-toi seulement qu’on a kiffé, hier, c’était hier, aujourd’hui, j’efface les dettes, hein; J’échangerais pas c’que j’ai contre la jeunesse éternelle, hein; On a fait c’qu’on a fait comme on l’a fait mais on l’a fait, hein; Tout s’transforme, rien n’se perd, ombre et lumière d’abord et pour finir Désolé mais j’vais devoir vous quitter, dis-toi seulement qu’on a kiffé; Hier, c’était hier, aujourd’hui, j’efface les dettes, hein; J’échangerai pas c’que j’ai contre la jeunesse éternelle, hein; On a fait c’qu’on a fait comme on l’a fait mais on l’a fait, hein; Tout s’transforme rien n’se perd, ombre et lumière.
La note d’espoir vient de Casseurs Flowters Infinity, où ils laissent supposer un retour du groupe de rap le moins productif : Tu vois quand dans les films, il y a plus personne qui peut sauver le monde et ils sont obligés d’réunir une équipe d’experts qui a pas travaillé ensemble depuis longtemps ? […] Bim badabim, bim badaboum deux Bim badabim, bim badabadaboum deux Bim badabim, bim badaboum deux Avant ils étaient cool, maintenant ils sont cools deux.

Voilà où j’en suis pour le moment. Je reviendrai peut-être sur cet article. J’en ferait peut-être d’autres pour aborder d’autres choses sur l’album. Quand j’aurai écouté un peu plus. Analysé encore plus.


Ajout #1 : Dans Manifeste, est-ce que J’y pense en passant, au milieu d’un flash mob d’infirmiers est une référence à cette vidéo de soignants toulousains reprenant Basique ?

Ajout #2 : Une contradiction possible; ça commence sur Shonen avec Les années passent, même un peu trop, au point qu’j’ose plus chanter mon âge[…] J’échangerais pas c’que j’ai contre la jeunesse éternelle, hein mais dans La Quête : Aujourd’hui, j’aimerais mieux qu’le temps s’arrête; et pourtant dans Jour meilleur : Rien à faire sauf, d’avancer; On en rira quand on l’verra sous un jour meilleur et finalement dans Civilisation : Aide-moi à trouver l’équilibre, grandir n’est jamais fini. Alors, ce temps ?

Ajout #3 : Dans Seul avec du monde autour, je ne vois vraiment pas où il veut en venir. D’abord J’travaille mes sons, j’travaille mon shoot, j’travaille mon couple, j’travaille mes textes C’est fou, j’travaille tout le temps; puis J’me lève à huit heures pour écrire, j’suis clairement pas un vrai rappeur. Est-ce qu’il considère qu’un vrai rappeur est quelqu’un qui vit et donc écrit n’importe comment, qui travaille peu ? Pourtant habituellement quelqu’un de vrai c’est quelqu’un qui s’implique à fond dans ce qu’il fait. Veut-il dire qu’un vrai rappeur c’est un branleur qui s’en fout ? Et si c’est bien le cas, se lever à huit heures, par rapport aux vrais français dont il parle dans Manifeste, ça n’a rien d’incroyable. Au contraire, c’est même une situation privilégiée. Encore une déconnexion avec le monde réel ?

Ajout #4 : Dans La Quête, il sous-entend qu’il avait de mauvaises note J’descends les marches, la peur au ventre, pour intercepter mon bulletin; pourtant en 2013 dans 16h22 - Deux connards dans un abribus, Gringe lui rappelait qu’il était premier de sa classe; G : Du coup, j’en profitais pour m’en prendre au premier d’la classe; O : Héhéhé, j’ai jamais eu c’problème : j’étais deuxième; G : Mytho !

Ajout #5 : Dans Rêve mieux il critique (et établi) la cancel culture/un mouvement bien-pensant : T’as d’la chance d’être bien-pensant, j’suis un haineux; En vrai j’suis pressé qu’tu me cancel; Ta tolérance c’est juste une autre façon d’se mettre en scène; Chasseurs de sorcières, gratteurs de sales buzz; Menteurs faux prophètes, vendeurs de bonnes mœurs; Tellement contents d’pouvoir juger puis dans L’odeur de l’essence il critique ceux qui prétendent qu’existe cette bien-pensance : La méfiance les exciter, dire qu’on peut plus rien manger, qu’on n’a même plus l’droit d’penser.

Ajout #6 : Dans L’odeur de l’essence toujours : Génération Z parce que la dernière; Ça s’voit clairement qu’on n’a pas connu la guerre. Si je vois le lien entre Z, dernière de l’alphabet, que toute la chanson décrit une fin supposée de notre civilisation (?) et que la seconde phrase vise à introduire le conflit générationnel (qui est de moins en moins d’actualité puisque ceux qui ont connu la guerre sont de plus en plus… morts); je ne peux m’empêcher de tiquer sur l’emploi du on; comme-ci il se rattachait à cette Génération Z. Alors qu’en étant né en 1982 il appartient théoriquement à la Génération X, soit deux générations antérieures.
Et à proposition de cette fin de civilisation, plus tôt il dit : Entourés d’mongols, l’Empire mongol; On fait les mongols pour plaire aux mongols; On va tomber comme les Mongols; Comme les Égyptiens, comme les Romains, comme les Mayas, comme les Grecs. Et je suis confus. Car les civilisations qu’il cite ici elles sont relativement anciennes. Aujourd’hui, on vit dans un monde globalisé, d’où des guerres mondiales et des problématiques globales. Lorsqu’il parle de civilisation, à quoi fait-il référence ? A la civilisation occidentale (d’où le on) ? Mais dans ce cas, il est dans l’erreur. Le dérèglement climatique, les crises sanitaires… ça concerne absolument tous les êtres humains vivants sur la surface de la planète. Alors il parle de l’humanité toute entière ? Que notre espèce va disparaître du fait de nos activités destructrices ? Dans ce cas, pourquoi se comparer à des civilisations ? Si elles ont disparu, ça a été au profit (et du fait) d’autres cultures. Donc quel est le propos ici ?