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Juste un bidon

Ayant grandi dans une famille qui ne s’intéressait absolument pas au sport, que ce soit dans sa pratique ou en tant que spectateur, j’ai peu de souvenirs qui impliquent du sport et des membres de ma famille.

J’ai pratiqué de nombreux sports, que ce soit à l’école via l’USEP, en club ou simplement avec les copains du quartier; mais au mieux mes parents ne faisaient que le taxi.

Pour le côté spectateur, je crois n’être allé qu’une fois assister à un match de foot de l’ASC au Stade la Licorne, et c’était avec des amis qui avaient gagné des places.
Cependant, pendant quelques années, une exception notoire : mon père m’emmenait régulièrement au Coliseum assister à des matchs des Gothiques.
La légende raconte que c’est parce que le hockey était ma grande passion à l’époque (vrai), mais avec le recul, c’était aussi (surtout ?) une façon de lier l’utile à l’agréable puisque les vrais invités étaient des clients de son entreprise. Bref.

Ce dont je me souviens des matchs de hockey sur glace, c’est que le rêve de nombreux spectateurs était de récupérer un palet qui se serait échappé de la patinoire pendant le match pour finir dans le tribunes.
Contrairement au football et au rugby où il faut retourner le ballon sur le terrain; on pouvait, tout du moins à l’époque, conserver le palet pour soit. Il faut dire que la situation était suffisamment exceptionnelle, et surtout, ça voulait dire qu’on venait littéralement de frôler la mort; alors c’était un moindre mal de pouvoir repartir avec ce petit trophée.

J’avais des amis qui exposaient fièrement cet objet chez eux, et après chaque match, je repartais un peu déçu de ne pas avoir touché le Graal.

Ensuite mes intérêts ont changé, et le cyclisme a pris une place de plus en plus importante dans ma vie.

Ce n’est qu’une fois adulte et installé quelques centaines de kilomètres plus au nord, que j’ai commencé à aller regarder passer le peloton professionnel.

Si j’avais pu constater à la télévision que les spectateurs au bord de la route se ruaient sur les bidons (vides ?) dont se débarrassaient les coureurs; ce n’est qu’en le vivant de l’intérieur, que j’ai pu me rendre compte de l’ampleur du phénomène.

De base je ne comprenais pas vraiment l’intérêt : c’est juste un bidon. Il n’a rien de spécial, tu peux acheter le même pour 5€ sur n’importe quel site d’équipement de cyclisme. Pire; quelqu’un d’autre a déjà bu dedans et vu le vol plané qu’il a fait sur le bitume/la terre; il est bien souvent amoché. Donc pas vraiment utilisable. A quoi bon ? C’est juste un bidon. Il va prendre la poussière sur une étagère ? Ou alors c’est pour essayer d’en tirer quelques dizaines d’euros sur LeBonCoin ? C’est triste. C’est juste un bidon.

Mon avis sur la question ne s’est pas amélioré quand un jour un coureur a lancé son bidon de l’autre côté de la route au bord de laquelle je me trouvais. Le jet était dirigé à proximité d’un jeune garçon. J’imagine que c’était volontaire et que le bidon lui était destiné. Sauf qu’un adulte, sans lien aucun avec le garçon, en a décidé autrement et a même bousculé ce dernier afin de s’assurer de se procurer l’objet. Faisant tomber l’enfant qui se mit à pleurer.
Comme c’était dans le Nord, ses parents n’en ont rien eu à faire, par contre avec d’autres spectateurs ayant assisté à la scène, nous avons exprimé notre mécontentement auprès de ce vil personnage qui s’est contenté de nous dire de « fermer [nos] gueules » avant de s’éloigner, bidon à la main.

Fort heureusement cette scène ne s’est pas reproduite sur les autres courses auxquelles j’ai pu assister. Probablement parce que les endroits où je me mettais n’étaient pas propices aux jets de bidon.

Tout cela pour dire que contrairement aux palets de hockey; les bidons des coureurs n’ont jamais eu d’attrait à mes yeux et si j’allais assister à une course c’était avant tout pour l’ambiance et pour ressentir cette petite dose d’adrénaline en voyant, en vrai, des athlètes que je regarde pratiquer notre sport toute l’année à la télé.

Jusqu’à hier. Où je me suis rendu à Cassel pour assister aux Championnats de France sur Route 2023.

J’y étais pour plusieurs raisons :

  • assister à un Championnat de France (ce n’est pas tous les ans qu’il se déroule si près de chez soit)
  • profiter du beau temps
  • voir courir Thibaut Pinot pour la dernière fois (puisque compte tenu du parcours du Tour de France 2023, je n’assisterai à aucune étape)
  • croiser un ami mécanicien qui suivait le peloton dans une voiture de son équipe
  • encourager Julian Alaphilippe que je plaçais comme favori pour la victoire

Et ce fut un succès quasi total, à ceci près que Julian n’a pu gagner puisqu’il a malheureusement été contraint d’abandonner la course en cours de route.

Mais c’est pas le sujet de l’article.
Là où je veux en venir c’est que le gros de la course consistait en un circuit autour de Cassel, à parcourir 15 fois; ce qui permettait de voir les coureurs beaucoup plus longtemps que sur une course normale.
C’est ainsi que lorsque le peloton passait pour la quatrième fois à l’endroit où je m’étais installé, l’improbable se produisit : alors que je criais un « Allez Julian ! » de ma douce voix à peine remise d’une bronchite, ce dernier regardait dans ma direction et lançait un bidon qui s’arrêtait deux mètres à côté de moi.

La configuration des lieux faisait qu’il n’était pas possible de bouger pendant le passage du peloton sans risquer de se faire percuter par un coureur, une moto ou une voiture.

J’attendais donc patiemment le retour au calme pour me retourner et aller récupérer le bidon; en espérant que personne n’était venu le récupérer entre temps.

C’est les mains tremblantes que je me saisissais du précieux Shiva Bio de chez Tacx aux couleurs de la Soudal – Quick-Step.

Les gens autour de moi, tous adultes et tous mes ainés de quelques années minimum, me félicitaient alors pour ce que je venais d’accomplir.

Toujours sous le coup de l’adrénaline, je glissais le bidon dans la sacoche de mon vélo et essayais de retrouver mes esprits avant le passage des coureurs esseulés.

Le retour à la réalité arriva quelques minutes plus tard quand mon ami insider m’informa que Julian venait d’abandonner. C’était donc la dernière fois que je le voyais passer ce jour là.

Avec un peu de recul, je suis vraiment très étonné par ma réaction. L’impression qu’il me l’a volontairement donné à moi personnellement, puisqu’avant son lancé il a regardé précisément dans ma direction ? Avoir son idole qui nous remarque et nous envoie une part d’elle sous forme d’un bout de plastique ?
Bordel me voilà redevenu un gamin. C’est juste un bidon !

Bon maintenant, qu’en faire ? Le laisser prendre la poussière sur une étagère ? Probable.

Au moins j’ai vécu une vraie expérience de fan de la petite reine et mine de rien je risque de garder ce simple souvenir à vie. Alors que quelques minutes avant j’étais encore convaincu que ça n’avait aucun sens.

Comme quoi.

Que ce soit volontaire ou non : merci Julian ! 😉