En Février dernier, France 2 diffusait la série Chefs. Pas une énième émission de télé-réalité où Jeanine et Marco viennent s’affronter sur la réalisation d’un tiramisu ou d’un navarin d’agneau légumes croquants, mais une vraie fiction en six épisodes.

Vu le diffuseur, les chances que je sois au courant de son existence étaient presque nulles; alerte-je-ne-regarde-pas-la-télé-c’est-de-la-merde-sauf-les-films-bulgares-en-VO-sur-Arte, mais l’article de Pierre Langlais, a qui j’accordais jusqu’ici une grande confiance, et publié sur Télérama m’a donné envie.
Chefs est bien écrite, bien mise en scène, bien jouée. On peut contester le fait qu’elle soit une excellente série, mais elle est indéniablement une bonne série.
[Pourquoi il faut regarder « Chefs » mercredi sur France 2 sur Télérama.fr]
Ce lundi je me suis donc assis à la table de Chefs, que j’ai quittée précipitamment une fois l’entrée terminée, soit deux épisodes.
Bienvenue dans le monde des clichés du feuilleton dramatique à la française.
Commençons avec les personnages.
– Élément principal de la série, le chef (Clovis Cornillac), sombre; très sombre et instable; très instable. Pour le sombre on lui fait porter une tenue noire complète en opposition au blanc du reste de sa brigade. Il porte cheveux et barbe fournis et a un bon penchant pour une bouteille d’alcool fort. Question instabilité, là aussi on implique une bouteille. Enfin, afin de montrer que c’est un génie, on lui accorde un brin de folie qui est propre à cette catégorie de la population en le faisant circuler dans une Peugeot 203. L’équivalent motorisé du chapeau de Marc Veyrat.

– L’ex-taulard (Hugo Becker) qui essaie de faire son retour dans le droit de chemin, qui en est empêché par les rappels du passé et les préjugés du présent mais qui y arrive quand même. Enfin pas facilement hein. Il faut quand même faire vivre le personnage.
– La fille de bonne famille (Joyce Bibring), un peu rebelle, qui a décidé une solution alternative à la carrière qu’avaient dessiné ses parents et qui doit élever son gamin tout seul. Avec un peu d’aide de sa mère, et un peu d’argent de son père.
– La carriériste (Anne Charrier) prête à tout écraser sur sa route, dont sa vertu, ayant tout connu de l’international business et qui se retrouve directrice d’un restaurant en perdition. Pour assurer l’entretien de ses compétences professionnelles, elle pratique la course à pied le running sur les trottoirs de la ville avec en bonne business-woman, le kit main libre sur les oreilles pour ne pas rater un appel et le téléphone à… la main. Derrière sa haine permanente d’autrui, se cachent en réalité de profondes pulsions sexuelles.
– Le vieux sage noir (Jean Bediebe), sorte de bonne conscience de notre sombre chef. Sage mais pas intelligent pour autant. Après tout il est noir, a un accent, un vocabulaire limité et en plus il fait la plonge. Non mais.
– L’arabe maître d’hôtel (Zinedine Soualem), avec sa peau pas trop pigmentée et un costume bien taillé, il assure un quota immigration que l’on peut exposer à la clientèle sans trop de risques. En plus il n’a pas d’accent et sait tenir sa langue. A tel point qu’on le croirait sorti d’une pièce de théâtre classique.
– L’handicapée sympa et rigolote (Juliette), ici une obèse agent de probation, qu’on aime bien charrier et pour qui on a de la compassion, un peu.
– L’asiatique en quête d’intégration (Anthony Pho) avec son teeshirt I Love Paris et qui fait passer son apprentissage des richesses de la langue française en passant par les gros mots. Les asiatiques étant les immigrés les plus intelligents il occupe donc naturellement un vrai poste dans le restaurant : cuisinier.
– La connaissance louche (Max Morel) aka Huggy les bons tuyaux, avec laquelle le personnage principal a un lourd passé. Si elle lui permet de progresser, c’est généralement à un coup élevé; que ce soit en bouteilles de grand cru ou en dommages physiques.
Passons maintenant à la réalisation.
La photographie d’abord, qualifiée de subtile par Télérama. Alors oui, elle est travaillée, mais trop, et mal. Quand la lumière se déplace pour correspondre aux angles de prise de vue, tu te dis qu’un truc cloche, et c’est le cas. Cette impression que le moindre plan a été tourné dans un studio photo est à la longue bien lassante.
Puis la musique et en particulier le générique qui semble être une copie de celui de Fringe.
Et les farces complètement grotesques, dignes d’un Walt Disney où une personne attablée se retrouve propulsée en pleine forêt après avoir goûté une mouillette trempée dans un œuf à la coque.
Un bref passage concernant les dialogues bien trop stricts et travaillés, pour souligner la qualité des envolées lyriques sur la bouffe. Extrait.
Un œuf à la coque… Recomposé; le jaune liquide, le blanc neigeux légèrement émulsionné avec une crème fleurette à la truffe. Des mouillettes de pain de campagne bien toastées avec une larme d’huile d’olive, assez verte. Et pour les truffes, truffes blanches, truffes d’Alba, évidemment. Servi avec un verre de Barollo, 2001 non, 96… C’est un plat à vous crever le cœur !
Le genre de bullshit qu’aiment bien employer ceux qui n’ont rien à dire et souhaitent y mettre les formes.

Vient ensuite le placement de produits.
Le CSA, toujours en quête de la protection de l’esprit vif de nos concitoyens s’est dit qu’il était beaucoup plus dangereux de voir une personne téléphoner avec un iPhone dans une fiction que de faire la publicité d’individus instables en diffusant en direct et en continu leurs exploits sur des chaînes nationales, a pondu un système d’avertissement du consommateur téléspectateur pour qu’il sache que si une marque était reconnaissable dans le contenu culturel qu’il allait voir, cela n’était pas le fruit du hasard mais le résultat d’un contrat commercial.
C’est donc sur mes gardes que j’analysais avec soin chaque image afin de dénicher les produits astucieusement insérés dans les épisodes.
Le seul placement qui m’est apparu est celui de Pink Lady. Ses cagettes roses et son étiquette en forme de cœur sont facilement reconnaissables, surtout dans une photographie majoritairement sombre. Et là je dis chapeau. On comprend rapidement la logique de ce placement en incluant un produit alimentaire dans une fiction ayant pour thème la cuisine. Mais après ? Mettre la plus aboutie des pommes industrielles dans la cuisine d’un restaurant étoilé ? Qui plus est une pomme à croquer ? Très crédible oui.
Alors du coup quand le produit est incorporé dans un plat c’est forcément cru, via un semblant de carpaccio de pomme. Parce que faire une compote ou une tarte avec de la Pink Lady, bonjour le résultat.
Il faudra tout de même noter que si pour le commun des mortels la Pink Lady se trouve à peu près partout, notre chef ne se les procure qu’au marché avec le reste de ses produits. Tout de même.
J’ai aussi cru apercevoir un Thermomix ou assimilé, mais rien d’évident, juste une forme.
Enfin, et c’est certainement l’élément qui m’a définitivement convaincu de m’arrêter après le second épisode, le nom du restaurant.
Rappel du contexte. Chefs est une série télévisée française ayant pour thème la cuisine et se déroulant à Paris, à 500m de la Cathédrale Notre-Dame de Paris. Alors comment on pourrait l’appeler ce restaurant ? Histoire d’être original tout en étant dans le sujet ? Pourquoi pas Le Paris ? C’est génial comme idée non ?
Je ne sais pas quel esprit malade a accepté cela, mais voilà. Le Paris. Le-putain-de-restaurant-français-à-Paris-dans-une-série-française-qui-s’appelle-Le-Paris-bordel-de-merde.
Qu’une série américaine nous sorte une blague comme celle-ci, pourquoi pas. Les clichés de la baguette, du béret ou de la marinière on comprend; petit budget et peu de temps pour quelques scènes en France qui doivent faire comprendre à l’américain moyen où ça se déroule, d’accord.
Mais là, non, non et non.
Pourquoi pas une Rue de Paris à Paris pendant qu’on y est ?
A part ça, Chefs est une vraie réussite à déguster tel un met de restaurant étoilé.